300 ans d’Éducation Populaire

Ça y est ! L’année de célébration de notre cinquantième anniversaire est désormais derrière nous. Elle se referme avec cette ultime publication numérique sur les constantes qui, depuis sa constitution en 1971, fondent les actions de la Fédé. Après avoir impeccablement discouru sur des notions aussi primordiales à nos yeux que celles de la jeunesse, de la solidarité, de la laïcité, de la rencontre, de l’expérimentation et de l’audace, nous avons décidé de conclure en beauté, dans un époustouflant feu d’artifice de pensées profondes et de formules bien-senties, en dissertant cette fois autour de la notion d‘Éducation Populaire. Rien n’oblige à mettre des majuscules à cet assemblage de noms communs, mais nous, on préfère. Primo parce que cette constante est la racine et la sève de toutes celles qui nous animent. Secundo parce qu’on fait ce qu’on veut !

C’est une évidence, ces dernières décennies de libéralisme triomphant ont ringardisé l’Éducation Populaire. Ceci pour la plus grande satisfaction de ceux qui considèrent toujours que les dominants sont là pour dominer et que par voie de conséquence tautologique, il est impératif que les dominés le restent. Il subsistait bien ici ou là quelques îlots de résistance, mais aucun bookmaker digne de ce nom n’aurait parié sur une survie à long terme.

Seulement voilà, l’Éduc’ Pop’, tout comme l’amour, est un oiseau rebelle qui vient, s’en va et puis… revient ! Et celle qu’hier encore on croyait condamnée, est peut-être en train de faire aujourd’hui un come-back aussi souhaitable qu’inattendu. Son nom est en tout cas devenu un vocable dont il est maintenant opportun de faire usage dans les dossiers de demande de subvention, ceci afin de plaire aux décideurs qui ne soupçonnent sûrement pas ce que l’idée peut avoir de subversif. Alors à leur intention et à celle des esprits curieux qui lisent ces lignes, revenons un instant sur la signification et la genèse de cette notion.

L’Éducation Populaire, quésaco ?

À la fois courant de pensée, concept, revendication, idéal et processus, il est difficile de donner à l’Éducation Populaire une définition unique, rapide et catégorique. Et c’est tant mieux ! ça en démontre d’emblée toute la richesse. Une chose est sûre, et contrairement à ce que pourrait laisser entendre le terme, l’Éducation Populaire ce n’est pas éduquer le peuple. Enlevez-vous ça immédiatement de la tête ! Le but, ce n’est de faire pleuvoir le savoir savant sur les masses laborieuses, comme l’Esprit-Saint descendant sur les âmes égarées, ou les bénéfices des hypra-riches ruisselant dans le porte-monnaie famélique des super-pauvres. Mais alors pas du tout ! C’est même strictement le contraire ! D’abord, l’enjeu de l’Education Populaire n’est pas de diffuser du savoir à ceux qui en manquent, mais de développer notre capacité à tous de réfléchir, de décider et d’agir ! Il s’agit donc, à travers des dynamiques collectives, de se donner les moyens de comprendre le monde pour pouvoir le transformer. Quand on vous dit que c’est subversif ! Et l’idée ne date pas d’hier.

Ouvrez vos livres d’histoire, page 112.

L’Éducation Populaire trouve sa source chez les Lumières. Au cours du XVIIIème siècle se formalise et se diffuse l’idée de la nécessité d’une éducation de toutes et tous, et, en l’occurrence, du peuple, par le peuple, pour le peuple, ceci afin de lutter contre l’emprise de l’Église catholique en France et son obscurantisme (d’où les Lumières).

Lors de la Révolution française cette perspective est incarnée par Condorcet, révolutionnaire convaincu et brillant mathématicien qui prône, par l’éducation, les idées émancipatrices des opprimés : “Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison.” Salut et fraternité, citoyen Condorcet !

Durant le XIXème siècle, l’Éducation Populaire s’incarne dans 3 grands courants alternatifs. Le courant laïc républicain, qui, conformément à l’esprit des Lumières, combat l’obscurantisme entretenu par l’Église. Le courant chrétien social qui se structure principalement autour de la lutte contre la misère et qui joue également un rôle essentiel de conscientisation sociale de la jeunesse. Le courant ouvrier et révolutionnaire, à partir duquel se structurent les syndicats, et qui œuvre lui pour l’amélioration de vie et l’émancipation de la classe ouvrière.

Au cours du XXème siècle les structures de l’Éducation Populaire obtiennent reconnaissance et soutien de l’État. Mais cela s’accompagne d’une institutionnalisation et d’une dépolitisation des associations. Et puis les Trente Glorieuses passent par-là, insufflant l’idée perfide et tenace que le bonheur ne se trouve ni dans le collectif ni dans l’éducation du peuple, mais dans l’individualisme et la consommation de masse. L’Éducation Populaire perd peu à peu sa fonction contestataire et émancipatrice et revêt les habits plus consensuels de l’animation socioculturelle. La construction politique s’efface au profit de la pratique de loisirs. Les citoyens sont devenus “des publics”. Pour obtenir les moyens nécessaires à leurs actions et parfois à leur survie, les associations font la course aux appels d’offres comme des entreprises de travaux publics… Le pauvre Condorcet doit se retourner dans sa tombe !

La Fédé plie, mais ne rompt pas !

La potion du Docteur La Fédé, elle nous réanime tous !

Quand dans 50 ans des historiens inspirés se pencheront sur l’épopée de notre vénérable association désormais centenaire, ils relèveront qu’au cours de ses 5 premières décennies, La Fédé n’aura pas échappé à cette logique de socioculturellisation (pardon pour le néologisme). Ils situeront chez nous l’apparition du phénomène plus précisément au début des années 90, avec le développement de programmes d’animation et de structures de loisirs enfance et jeunesse, l’embauche de nombre d’animateurs professionnels, puis la création d’un chantier d’insertion, et à partir des années 2010 l’organisation de séjours adaptés pour les personnes en situation de handicap. C’est ce qui s’appelle manger à tous les râteliers ! Mais si nos historiens du futur sont un tantinet sérieux, ils ne manqueront pas d’observer qu’à travers cette large diversification de nos activités, nous n’avons jamais cessé de défendre les valeurs de l’Éducation Populaire, bec et ongles !

Nos animations auprès des plus jeunes ont toujours eu pour finalité de former des citoyens éclairés et actifs, et nous refusons de considérer l’éducation comme une vulgaire marchandise. D’ailleurs après nos déboires avec feu le SIVU 44 “Enfance et Jeunesse”, nous refusons, en la matière, de jouer le jeu pernicieux des appels d’offres.

Son approche pédagogique spécifique fait de Lever le Rideau un chantier d’insertion à part qui agit moins pour l’insertion que pour l’inclusion et l’émancipation de ses salariés. Tout comme le secteur Animation Loisirs Handicap travaille à celles des personnes en situation de handicap. Car ni la précarité ni le handicap ne peuvent faire de nous des sous-citoyens. Bref, on ne lâche rien !

Éducation Populaire, au secours !

Sans doute l’avez-vous remarqué, l’ambiance de ce premier quart de siècle n’est pas franchement folichonne ! Intégrisme, extrémisme, racisme, complotisme, déclinisme, communautarisme, autoritarisme, etc., tous les obscurantismes ont le vent en poupe et font leur lit de nos peurs et de nos ignorances. Pour faire face à ces forces des ténèbres, il nous faut impérativement rallumer les Lumières ; tout du moins leur esprit. Aussi nous associons-nous pleinement à la tribune initiée en décembre 2020 par la Fédération Nationale des Centres Sociaux qui repose clairement les principes et objectifs des dynamiques d’Éducation Populaire et qui nous invite entre autres à : organiser partout où cela est possible des espaces de rencontre et de construction collective qui font vivre notre démocratie. À discuter, sans peur des désaccords. À armer nos esprits critiques et à prendre soin de nos liens.

Texte complet de la tribune : https://www.centres-sociaux.fr/tribune-combat-democratique/

La tâche est immense et devrait nous occuper une bonne partie de ce deuxième demi-siècle d’existence qui s’ouvre à nous. Mais le défi est enthousiasmant et nous sommes prêts à le relever. Alors si vous ne savez pas quoi faire ces cinquante prochaines années : rejoignez-nous !

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